Introduction à la photographie à haute vitesse.
Qui n'a pas été impressionné de découvrir les photographies de gouttes de liquide rentrant en collision ? Les clichés du photographe scientifique qui a figé le temps, Harold Edgerton, firent le tour du monde. Pour cette époque, les années 30, quelle prouesse technique ! Comment immortaliser un phénomène qui ne dure que quelques millisecondes ? Alors qu'hier en argentique, le photographe dépendait du délai du développement du plan film et d'une instrumentation hyper spécifique, ce type de photographies est aujourd'hui accessible à chacun d'entre nous ou presque...
Tenter l'essai Et pourquoi ne pas tenter la photographie des gouttes de pluie éclaboussant à terre. Un beau jour humide et me voilà à l'assaut de ces splashs. Pour faciliter l'exercice, je vise le dessous d'une barrière accumulant l'eau et laissant tomber de temps en temps une goutte. En observation, l'eau s'accumule sous la rampe, forme une rondeur qui grossit, qui s'allonge de plus en plus et qui subitement tremble comme une feuille jusqu'à la naissance d'une goutte, initialement informe mais qui dans sa chute s'arrondi, puis splash ! La goutte s'écrase et se disloque en une myriade de gouttelettes projetées en l'air en une fraction de seconde. Quel spectacle mais... bien si peu perceptible à l'œil. Tout se passe à une vitesse vertigineuse ! Il m'a fallu près de 250 clichés pour obtenir la photo de ce mini big-bang malgré que je pressentais, à son tremblement, la chute de la goutte ! L'essai est tenté en cuisine sous le robinet. L'exercice est ici plus facile après le réglage d'un goutte à goutte mais les gouttes très grosses sont peu graphiques et les fines collisions invisibles.
Synchroniser la prise de vue La photo de visu étant difficile, autant s'armer de bons outils tel un dropper ; une machine à goutte qui permet de définir le moment du lâcher de la goutte et le moment de la prise de vue. S'il en existe dans le commerce, avec un peu de programmation, une carte Arduino, quelques composants électroniques et une électrovanne, la conception est tout à fait envisageable. Cela a été le challenge d'un projet étudiant de l'Ecole Grenoble-INP Phelma. Encadré par Richard Bressoux, les étudiants ; Claire Besancon, Delphine Brun, Caroline Franz et Etienne Gemehl relèvent le défi. Après quelques séances, le bâti supporte la réserve de liquide et l'électrovanne est pilotée par une carte Arduino. La programmation permet de définir la taille des gouttes (temps d'ouverture de l'électrovanne), l'intervalle entre deux gouttes (pour photographier une collision d'une goutte tombant sur le rebond d'une première), ainsi la synchronisation de la prise de vue. Le tout étant installé, un temps d'essais et de fines observations sont nécessaires pour définir les temps de synchronisation et obtenir les premières vues de collision.
Des facteurs dépendants La délivrance d'une goutte, sa forme, son volume, sa vitesse et la synchronisation de tous les timings pour immortaliser une collision dépendent de nombreux facteurs qui obligent à chaque session le réglage du dropper. Les temps définis lors d'une séance ne sont qu'informatifs pour la suivante. Les temps de synchronisation dépendent énormément de la viscosité du liquide et donc de sa nature et de la température. Ainsi, il est très judicieux de "chambrer" depuis la veille les solutions. Les temps de synchronisation ont aussi tendance à évoluer au cours d'une même séance par le changement de température du local mais aussi par la variation du niveau de liquide dans le réservoir (appliquant une variation de pression). Pour y remédier, la mise en place dans le réservoir d'une canule reliée à l'air ambiant permet de créer un siphon de Mariotte. Ce judicieux dispositif permet d'avoir une pression constante indépendante du niveau de liquide où la pression est équivalente à la hauteur entre la sortie de l'électrovanne et le bas de la canule.
Il est envisageable de faire évoluer le système en employant un laser pour détecter la goutte qui tombe ou le rebond de la première dans le cas où nous avons toute la maîtrise de la programmation pour prendre en considération la première seconde ou troisième interruption du faisceau laser pour le déclenchement.
Immortaliser à la vitesse de l'éclair Plusieurs possibilités s'offrent pour paramétrer la prise de vue : User d'un éclairage continu de forte puissance pour fermer le diaphragme et gagner en profondeur de champs et déclencher l'appareil par l'émission d'un signal IR. Ce mode de déclenchement est malheureusement propre à chaque appareil et limite la prise de vue à la vitesse d'obturation de l'appareil photo soit pour les meilleurs réflexes 1/8000s. Pour ces raisons, nous optons pour une seconde solution qui consiste à placer l'installation dans le noir, à ouvrir l'obturateur de l'APN (pose B/Bulb) et à figer le mouvement de la scène avec un éclair de flash. Nos essais fonctionnent mais posent une autre exigence puisqu'à regarder de près les images de gouttes montrent un léger flou de mouvement. Le Père de la photo ultrarapide, Harold Edgerton que l'on surnommait - et pour cause - "Papa flash" utilisait le même mode de déclenchement mais une électronique spécifique pouvant émettre des éclairs durant 1/10000s, une vitesse minimale pour figer le mouvement des gouttes sachant que nos petites gouttes de 2mm ont une vitesse moyenne de l'ordre de 5m/s (105ms pour une chute de 50cm).
Pour figer le phénomène, il faut donc user d'éclairs ultrarapides. Aujourd'hui, tous les flashs permettent d'atteindre des vitesses d'éclairs très élevées à condition de réduire leur puissance à 1/32, 1/64, 1/64. Pour vérifier ce point, nous avons mesuré avec un oscilloscope nanoseconde la durée des éclairs.
Ainsi, en réduisant la puissance du flash à 1/32, l'éclair dure 1/10000s et à 1/64 seulement 1/20000s. Après observation et notre matériel, pour figer une goutte dans sa chute ou durant la collision, il est nécessaire d'employer des vitesses de l'ordre 1/20000s ou plus sachant qu'au 1/128, la puissance n'est plus toujours suffisante et contraint à ouvrir le diaphragme de l'appareil au détriment de la profondeur de champ. Ainsi, les paramètres usuels sont 1/32 à 1/64 sur le flash, un diaphragme de f/18 sur l'objectif macro en rapport 1/2 ou légèrement plus.
Créativité Le système installé, laisse libre court à son imagination pour offrir un aspect graphique, novateur et original à ses photographies. De l'emploi à des fonds de couleur, de sources lumineuses directes ou en contre-jour, de teintures et de colorants, de substances modifiant la viscosité du liquide et ou encore de jet de gaz pour déformer les colonnes, tout est possible ! L'ajout de xanthane à de l'eau permet d'obtenir des colonnes et des collisions jusqu'à 12-15cm de haut alors qu'avec de l'eau pure, celles-ci montent seulement à 3-4cm. Du lait additionné de crème liquide renforce le caractère hydrophobe et favorise la formation de gouttelettes sur les satellites... Extrait :
------------------------------------------ Source d'inspiration pour le programme Arduino : Laurent Luciani La guide complet de la Photographie de Gouttes : Corrie White ------------------------------------------ Texte : © Vincent Martin (photomavi.com) Photographies : © Vincent Martin (photomavi.com) // Photographies avec fond photo/bicolore : Claire Besançon, Delphine Brun, Caroline Franz et Etienne Gemehl, Vincent Martin Dropper : Claire Besançon, Delphine Brun, Caroline Franz et Etienne Gemehl, Richard Bressoux, Grenoble-INP Phelma Mesure et aide à la mesure sur l'oscilloscope : Noël Rosman, Vincent Martin
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