Récit photographique
Au cœur de l'acte
photographique...
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Une
chapelle à 3171m
Sept. 2020 - Réflex, 40mm - f/16, 1/500s,
200iso
Au regard de mon agenda et de la météo ; beau temps les trois
prochains jours... je décide de poser des congés et de partir en
solo faire le tour du Mont-Thabor. Je découvre alors des paysages
rocailleux délimités par des alignements de sommets. La marche est
agréable, mais comme le dirait un ami (Gilles), le temps est
détestable, "tempête de ciel bleu" et aucune texture à placer dans
le haut du cadrage ! Sous cette couleur azur, je découvre de grandes
vallées avec chacune leur singularité et à leur point de convergence
le sommet du Mont-Thabor. J'en avais entendu parler, mais l'arpenter
c'était poser les pas dans un lieu chargé d'histoire, matérialisé
par une chapelle à plus de 3000m ! Pour l'imager, je fais le choix
de la placer au centre et de face, en cadrant sur son piédestal de
pierres afin de la grandir, de l'élever encore plus et de minimiser
le céleste au profit du socle. Un immense monticule formé
d'innombrables pierres, qui rappellent de façon sous-jacente
d'innombrables hommes et époques semblant soutenir cet édifice... Sur les
côtés et se faisant face comme dans une compétition de lutteurs sur
un tatamis : une échelle de maigre hauteur semblant être
abandonnée et la blanche Nature avec la force des rigueurs de la haute
montagne. Au centre, tout en haut, une petite croix semble
imperturbable et implacable ! Mais que sait-on de cette chapelle ?
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La Chapelle du Mont-Thabor
Les origines de cette chapelle
restent un mystère ! Nulle personne ne connaît les raisons qui ont poussé à
sa construction car l'incendie qui a dévasté en 1668 la totalité du village
du Mezelet eut raison des archives. Un seul document antérieur à cette date
nous parvient ; un suivi de compte des aumônes, qui atteste l'existence de
la chapelle en 1648. Toutefois, il serait dit que la chapelle aurait été
construite au tout début du XVe (source ?). Par ailleurs, c'est à Giovanni
Antonio Magini, astrologue cartographe italien, que nous devons la plus
ancienne carte (gravure effectuée entre 1565-1608) mentionnant la chapelle,
bien avant le nom des sommets alentour (la première carte nommant M. Abor
pour Mont-Thabor est celle de Borgonio, au XVIIe), fait qui démontre le
culte voué à cette époque. La chapelle est alors connue depuis bien
longtemps et attire les gens du Dauphiné, de Savoie, du Piémont et de la
vallée de Bardonecchia qui la gère. Une messe y était célébrée chaque année
à la date de la Saint-Barthélemy, le 24 août et le dimanche suivant.
Suite à l'incendie qui ravagea le Mezelet en 1668, une grande partie des
villageois trouve refuge en France alors que le prêtre de Mezelet (Gerolamo
André) reste et consacre son temps à la reconstruction de son église. La
chapelle est alors quelque peu délaissée et se trouve en 1694 totalement
hors d'usage (à priori détruite par un incendie le 22 août 1694 ? source
à vérifier). Ne pouvant plus alors officier mais armé de conviction, le
prêtre convoque la générosité des fidèles. En 1695, aidée de 33 mules, la
main-d'œuvre transporte et met en place la maçonnerie, l'autel, la niche,
les portes et les ferrures, le toit et un plafond recouvert de tapisserie,
ainsi qu'un retable sculpté par Jean Pasqualet (menuisier de Névache) et
Barthelmy Arnaul. La petite chapelle de bois sonne de nouveau les
célébrations ! En proie aux rudes conditions de la haute montagne, elle est
régulièrement entretenue ; le toit en 1752, la structure en 1768 et de
nouveau le toit en 1812. En 1816, la chapelle qui faisait 7 m2 est agrandie
avec une avancée et un nouveau plafond. Pour éviter des entrées de neige, en
1875, la toiture est entièrement revêtue de plaques de zinc... que l'on
retrouvera dans la vallée à la suite de coups de vent. On se plaît dès lors
à rêver à une couverture en ciment et à une chapelle plus grande pour
abriter plus de pèlerins lors des offices.
En 1860, le typhus arrive dans le village du Mezelet et un on-dit laisse
présager des bienfaits de Notre-Dame du Thabor. Tous les villageois
s'accordent à demander alors sa protection, jusqu'au conseil diocésain du 10
décembre 1860 où est votée la motion affirmant que si le village est
épargné, une procession de pénitence prendra place le 16 juillet de chaque
année. Depuis, les cloches sonnent à 21 h, la veille du 16, pour célébrer le
départ de la procession en direction de la Chapelle du Mont-Thabor. Vingt
ans plus tard, en 1881, 14 croix sont installées et jalonnent le parcours
votif. La vierge du Thabor est implorée à chaque occasion comme lors d'un
nouvel incendie à Mezelet (12 janvier 1890) et lors duquel, dès les
premières prières du curé, le vent s'arrêta d'attiser les flammes !
Côté français, les Briançonnais avaient coutume de réserver le dimanche
suivant la Saint-Barthélemy pour offrir du pain béni à la Chapelle. En 1876,
le petit plateau du Thabor présentait en enfilade la chapelle de bois, un
monument funéraire fermé, une pierre marquant la frontière et une immense
pyramide de l'État-major (aujourd'hui absente) désignant le sommet du
Mont-Thabor en terre française. Les pèlerinages étaient source de partage,
avec après l'office un repas autour de l'édifice. Mais ce n'était pas
toujours ainsi. Certains incidents (1873) firent que les Savoyards étaient
plus réticents à monter ou le firent durant un temps avec des fusils, sans
aller à la messe et soi-disant pour chasser ! En ce temps, la petite "Cappella
della Madonna dei Sette Dolori" pouvait contenir jusqu'à 50 à 60
personnes et confirmait l'adage briançonnais "Que l'air manque au Thabor" !
En 1894, un larcin aurait été tenté par une brèche du vieux mur de la
chapelle pour vandaliser la boîte recevant les aumônes... sans succès, mais
cela constitua une belle occasion pour Massimino Vallory, curé de Mezelet,
d'en appeler à la générosité des pèlerins et d'instruire l'idée de la
construction d'une nouvelle chapelle, qui pourrait accueillir jusqu'à 300
âmes. Cette fois, c'est acté ! Après 3 saisons estivales (1895, 1896, 1897),
la construction d'un petit bâtiment pour les travailleurs (1896) et d'une
réserve d'eau, d'innombrables efforts des artisans et villageois et
358 rotations à dos de mulet, le Thabor est dominé par la toute nouvelle
chapelle de ciment. Celle-ci garde la forme initiale avec un presbytère
fermé d'un portail en fer, et le 13 septembre 1897, la toute nouvelle
chapelle est inaugurée. Malgré sa surface désormais cinq fois plus grande
(36 m2) et aussi parce que l'édifice reste encombré d'outils de chantier, la
plupart des dévots restèrent dehors... sous le déluge de pluie et de givre
de ce jour.
Cette chapelle sur ce sommet à plus de 3000 m a toujours bénéficié de la
dévotion des gens vivant aux alentours du versant italien comme du versant
français. De nombreux ex-voto sont suspendus et ce, même aujourd'hui. En
1773, la cloche (bénite le 29 août 1773) servant à guider les pèlerins est
offerte par M. Buisson et M. Arnaud de Briançon. En 1804, la statut de la
vierge est offerte par Louis Trocas et Jean Tommas et de Valmenier. En 1805,
le crucifix, toujours présent sur le site, est offert par le sculpteur de
Saint-Michel, Claude François Rochet. En 1858, M. Carlo Castania de Turin
verse 20 francs comme dépôt pour la Vierge de Notre-Dame du Mont-Thabor, la
plus vénérée par le Mezelet (conservée aujourd'hui au Musée de Mezelet). Les
artisans participent activement et gracieusement aux multiples
restaurations.
Sur le plan administratif, la Chapelle était à la fin du Moyen Âge sous la
responsabilité de la paroisse de Bardonecchia puis celle du Mezelet lorsque
celle-ci devint autonome, le 7 avril 1487. À cette époque et depuis 1343, le
territoire était organisé en Escartons, des espaces dont l’indépendance
relative était achetée auprès du dispendieux dauphin Humbert II. Plus tard,
et pour mettre fin à la guerre de succession d'Espagne, Louis XIV signe en
1713 les traités d'Utrecht stipulant la cession de trois Escartons, dont
celui d'Oulx, au Duc de Savoie, roi de Sardaigne. C'est ainsi qu'à plus de
3000m d'altitude et distant de 180m, le Mont-Thabor reste français et que la
Chapelle du Mont-Thabor devient "sarde" puis... après quelques raccourcis
historiques, italienne en 1861. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Après la
Seconde Guerre mondiale, le traité de paix signé à Paris le 10 février 1947
définit au profit de la France la rectification des frontières avec
l'Italie. C'est ainsi qu'au Thabor la frontière est repoussée à 5km plus à
l’Est et la Chapelle de se retrouver en terre française... en la propriété
du ministère des Finances ! Malgré ce transfert, la paroisse de Mezelet
parvient à garder la propriété de la Chapelle de la Vierge-des-douleurs. Et
c'est encore une nouvelle fois sous l'impulsion du curé Don Francesco Masset
(également créateur du Musée d'Art Religieux Alpin de Mezelet) et de la
générosité des habitants du village italien qu'en 1954 la façade est refaite
et l'entrée et la toiture totalement reconstruits en 1998, avec cette
fois-ci des rotations en hélicoptère.
La montagne est considérée par de nombreuses religions comme le point de
rencontre entre le céleste et la terre. Du Mont-Olympe au Mont-Bégo
(Mercantour) jusqu'au Mont-Thabor, les dévotions de toutes sortes se sont
succédé des siècles durant. Aujourd'hui, la Chapelle
Notre-Dame-des-Sept-Douleurs du Mont-Thabor, la chapelle la plus haute de
France, est toujours adulée. Les processions du 16 juillet et du 24 août
(parfois début août) se perpétuent avec un départ matinal et un office à 11
h, en rassemblant chaque année les pèlerins et randonneurs de Névache,
Valmeinier, Modane et de la Vallée Étroite.
Aujourd'hui et malgré les nombreuses restaurations apportées ainsi que le
classement du site du Mont-Thabor comme "Patrimoine national"
(31 juillet 1992 et 26 décembre 2000), la chapelle du Mont-Thabor est en
sursis. Avec la perte des trois-quarts de la superficie du glacier du Thabor
(depuis les cartes de l'État-major, 1820-1860), responsable de glissements
de terrain et un sommet constitué d'écailles, le soubassement est instable.
En 2016, un tremblement de terre vient déstabiliser les fondations de
l'édifice en faisant basculer le parvis et créer un trou béant dans son sol
et d'immenses fissures dans le mur frontal. Pour raison de sécurité, un
arrêté syndical (1er août 2017) interdit l'accès au sanctuaire. Aujourd'hui,
l'association des Amis du patrimoine religieux de Névache et les
acteurs italiens (curé de Mezelet et volontés de Bardonecchia) cherchent à
obtenir le permis de construire et à lever les 100 K€ nécessaires à la
sauvegarde de ce patrimoine unique.

Intérieur de la Chapelle
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Ex-voto contemporain
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Murs fissurés et sol défoncé de la Chapelle |

Chapelle du Mont-Thabor
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Plateau sommital du Mont-Thabor
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Chemin de croix et Chapelle en arrière
plan
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Texte (09/2020) et photographies : © Vincent Martin
(photomavi.com)
Sources : Premiers alpinistes en Clarée,
Editions transhumances, (2015) / La Cappella del Tabor (2016) / Monte Tabor
- Memorie della cappella, Pei Forestieri, Tipografia Salesiana (1908) /
Remonterletemps, ign (2020) / Mont-Thabor, Site classé Patrimoine National,
DREAL (2013) / Ordinanza sindacale n°9 del 01/08/2017, Commune de
Bardonecchia (2017) / Chapelle en péril recherche son propriétaire, Fanny
Bancillon (08/2020) / Musée d'Art Religieux Alpin du Mezelet (2020) / Oulx,
une francophonie à l'italienne, Raumond Terra, Le Globe, Revue genevoise de
géographie (2020) / Traité de Paix avec l'Italie (10 février 1947), cvce
(2017)
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